Au risque de se trouver : un chemin vers l'autre avec François Xavier
"J'ai ouï dire à notre grand mouleur d'hommes, Ignace, que la plus rude pâte qu'il ait jamais maniée, c'était au commencement ce jeune François-Xavier, duquel Dieu s'est servi plus que tout autre sujet de notre temps…"
Témoignage de Polanco
La mission religieuse est liée au sens que les acteurs d'une civilisation ont de leur identité culturelle et du message dont ils sont porteurs en un moment du temps. Le missionnaire est là pour porter la bonne nouvelle, pour transmettre un nouveau mode d'approche, mais aussi - et c'est un point qui n'est en général pas celui sur lequel on met l'accent - pour transformer le sien.
Car la mission n’existe pas sans l’autre, et sans sortir pour aller à la rencontre de l’autre non seulement sortir de soi, mais se dépayser, changer de cadre, de regard, de règles du jeu. L’autre peut être au départ un être fantasmé et c’est un peu ce qui est arrivé à François Xavier mais à l’épreuve de la réalité, il brise ou il bronze le missionnaire à l’arrivée.
Dans un autre domaine, celui de la philosophie, Socrate employait, nous rapporte Platon, le terme de basanizein, « frotter à la pierre de touche » : en se frottant à l’autre, le missionnaire se frotte à un révélateur de sa propre part d’authenticité ou d’inauthentique.
Le missionnaire n'est pas un homme "facile" ou un saint: le premier objet de la mission c'est lui-même : "Réfléchir au talent que Dieu vous a donné", écrivait François Xavier le 15 janvier 1544 parole qui évoque la parabole des talents. Pour enseigner, docere, le missionnaire doit se rendre docile à l'Esprit saint. Il doit offrir à Dieu sa liberté pour aider à libérer les hommes, à la mesure de sa faiblesse, comme il est dit souvent et oublié parfois, en risquant de découvrir ce qu’il est lui-même, authentiquement, devant l’épreuve et en la surmontant, pour à son tour aider les autres, sans préjugés, mais sans compromission non plus par rapport au but.
La lettre adressée de Goa par François Xavier, en mars 1549, à un confrère, commence bien par ses mots :
"D’abord et avant tout, soyez attentif à vous-mêmes et à vos relations avec Dieu et à votre conscience car c’est de celles-ci que dépend votre pouvoir d’être utile à votre prochain. N’oubliez pas de faire un examen particulier de conscience au moins une fois par jour si vous ne pouvez le faire deux fois. Souciez-vous et occupez-vous de votre propre conscience plus que de celle de qui que ce soit d'autre, car celui qui ne désire pas être bon et saint lui-même, comment peut-il rendre les autres tels ? […]Dans tous vos rapports, conversations et amitiés avec les autres conduisez-vous comme s'ils pouvaient être un jour vos ennemis."
C'est dire qu'on ne doit jamais perdre la vigilance ou, plus exactement le discernement, pour distinguer ce qui peut bloquer à l'intérieur de soi-même, mais aussi pour ne pas confondre le sujet de la mission avec un ami. L'élément du "combat avec l'ange" n'est jamais très loin chez François Xavier, dont les phrases peuvent choquer. Ainsi, il n'hésite pas à écrire :
"Il y a des gens qui ne souffrent pas de remords de conscience parce qu'ils n'ont pas de conscience."
"Tous les pauvres ne sont pas méritants et on peut trouver parmi eux des mendiants plongés dans le vice et le péché."
En outre, il ne manque pas de bon sens :
"Prêchez aussi souvent que vous le pouvez, mais prenez un soin particulier de ne jamais dénoncer dans vos sermons un homme occupant une fonction publique, car vous courriez ainsi le danger que de telles personnes puissent devenir pires au lieu de s'améliorer […]. Plus vous êtes lié d'amitié avec quelqu'un, plus vous pouvez lui parler net, mais tant que vos relations ne sont pas encore bien assises, ne vous hâtez pas de réprimander. Faites vos critiques aimablement, avec des paroles douces et affectueuses plutôt qu'avec dureté. Si vous reprenez des personnes importantes ou riches en vous exprimant trop carrément, je crains que vous n'aboutissiez qu'à leur faire perdre patience et à vous les rendre hostiles."
Le 15 mars 1540, lorsque Saint François Xavier quitte Rome, pour aller en mission chez les "Infidèles" (mutatis mutandis, chacun se retrouve l'infidèle de l'autre, pourrait-on dire, avec notre regard d'aujourd'hui), Ignace de Loyola n'a pas encore été élu préposé général de la Compagnie de Jésus qu'il vient de fonder avec quelques compagnons - il le sera l'année suivante. Luther, excommunié par le pape Léon X en 1521, puis Calvin qui publie en 1541 Institution de la religion chrétienne, sont en train de faire voler en éclats l'unité de la chrétienté médiévale, qui va se trouver confrontée à l'esprit des réformes, à l'intérieur autant qu'à l'extérieur de l'Eglise. Les temps de l'Inquisition sont désormais comptés, François Xavier ouvre la voie au temps de l'inculturation, qui va être surtout celui de ses successeurs. Il est un trait d'union entre une certaine vision dogmatique de l'église, de la mission, de la damnation, et une vision neuve que lui apporte son voyage, dans une évolution très nette de l'Inde au Japon et aux portes de la Chine.
L'Europe est en train d'accéder à l'hégémonie sur le monde : les Portugais se sont lancés à la découverte des côtes occidentales d'Afrique pour se ravitailler en or du golfe de Guinée, ils ne vont pas tarder, en tentant d'atteindre les pays de l'Océan Indien, à concurrencer les marchands italiens qui négocient les épices. Christophe Colomb à la fin du siècle, a découvert l'Amérique, au moment même où s'est effondré le royaume arabe de Grenade et où les Juifs ont été chassés d'Espagne, où ils étaient souvent arrivés avec les légions romaines, suivant la via Domitia qui passe par le sud de la France. Le monde européen est désormais constitué du triptyque "marchands-conquistadors-missionnaires" marquant un esprit volontaire, tourné, pour le meilleur et pour le pire, vers l'universalité et la propagation du message chrétien, en particulier catholique, qui s'identifie à l'universel. A la même époque, l'Epire ottoman entretient un dialogue fécond avec les fidèles des autres religions du Livre, répartis en millets (nations religieuses) et relevant d'un statut de dhimmis (protégés).
L'esprit de Croisades n'est pas mort, en particulier chez les Espagnols qui ont lutté contre le royaume musulman d'Andalousie. L'esprit de mission est lié à la défense de l'Eglise, certes, mais aussi à l'esprit d'aventure des gentilshommes du temps et surtout à la propagation d'une culture et d'un mode de vision du monde (ce que les Allemands appellent une weltanschauung) qui fait partie intrinsèque de la définition même de l'Europe, née parce que chrétienne, à l'extrême bout occidental du continent asiatique.
On pourrait dire que Saint François Xavier - acteur de la Contre-Réforme, ou plutôt de la Réforme à l'intérieur même de l'église catholique - s'est donné rendez-vous à lui-même à Goa, le 6 mai 1542, où il débarque et commence sa mission. Il vient non pour conquérir, ni même pour convaincre, mais pour convertir, selon le mot de Saint-Benoît, "tourner vers le Seigneur" ceux qui ne le connaissent pas. La conversion est d'abord un tropisme nouveau, une orientation nouvelle. Il faut aller vers l'autre pour le tourner vers Dieu, mais cet acte est en quelque sorte interactif : le missionnaire lui-même en sort changé, comme en témoigne le parcours de François Xavier, qui va se retrouver « enseigné » par celui qu’il a converti, le japonais Paul.
La personnalité de Saint François Xavier
François est né le 7 avril 1506 au château de Xavier en Navarre. Comme Ignace de Loyola, il est gentilhomme, comme Ignace, il est fougueux. Le Père Ravier écrit : "Il aurait pu devenir un aventurier de haut vol : l'Esprit de Dieu en a saisi les puissances, sans les anéantir, pour en faire le type parfait du missionnaire à l'époque de la découverte des autres mondes." La notion de « découverte » va devenir centrale pour des missionnaires qui seront en mesure de jeter un pont entre deux mondes.
C'est à Paris où il est étudiant que François Xavier rencontre Ignace de Loyola (1529) et qu'il prononce, avec Ignace et cinq autres compagnons les "vœux de Montmartre". Ordonné prêtre en 1537, il part en mission dans les Indes orientales (7 avril 1541) à la demande du roi Jean III de Portugal.
Inlassablement, dans le Travancore, à Ceylan, à Malacca, aux Moluques, il "porte l'Evangile", la bonne parole. Puis il part pour le Japon (1549-1552). Il repasse par Goa pour repartir pour la Chine où il n'arrive jamais : frappé par la maladie et l'épuisement, il meurt sur l'île proche de Sancian (Chang-Chouen-Chan), le 3 décembre 1552, âgé de 46 ans. Entretemps, sa mission a changé de nature.
Philippe Lécrivain, s.j., qui lui a consacré dans Christus (n° 196, octobre 2002) un article intitulé "St François Xavier, homme de désir et de discernement", souligne cette évolution : à son arrivée en Inde, François Xavier a pour mission de "dilater la chrétienté sous le patronat portugais". Puis, parlant aux pêcheurs de perles et ayant à les défendre, il prie Dieu de l'aider à discerner sa volonté et décide de partir pour les Moluques (1548) ce qui marque une certaine rupture avec le "patronat portugais". François Xavier va vers l'autre, vers l'inconnu, pour le découvrir et l'aider.
C'et à Malacca qu'il rencontre un Japonais, Anjirô, et décide de partir pour le Japon (début 1549) malgré la guerre entre Chinois et Portugais. C'est une période de frayeur, de doute, d'épreuves. Une fois de plus, le missionnaire est confronté à lui-même et à tout ce qui s'oppose à sa mission, dont "l'Ennemi", celui qu'on ne nomme pas et qui fait rire aujourd'hui, alors que sa meilleure arme reste sans doute, comme l'avait écrit Denis de Rougemont, de faire croire qu'il n'existe pas :
"Sur le bateau il découvre que ses compagnons et lui sont à la merci des sorts jetés et des interrogations posées à l'idole qui trône à la poupe. La tempête se déchaîne, les accidents se multiplient, François Xavier est touché au fond de lui-même. Ce combat est devenu le sien et c'est alors que Dieu, après lui avoir fait sentir et connaître de l'intérieur les 'craintes horribles et épouvantables que l'Ennemi inspire', lui indique les remèdes auxquels il doit recourir : s'humilier beaucoup, se dépouiller et s'établir en Dieu seul. François Xavier peut alors se ranger sous l'étendard du Christ qui se tient 'en humble place, beau et gracieux' et non pas 'horrible et terrifiant, assis dans une chaire de feu et de fumée, à la manière de l'Ennemi et de ses idoles' (cf. Exercices Spirituels)." Philippe Lécrivain, s.j.
Pour François Xavier, la lutte contre l'idôlatrie est une lutte contre ce qui rend l'homme esclave tremblant, infidèle ("qui n'a pas la foi") au message du Christ venu pour nous sauver chacun.
Au Japon l'attendent 2 épreuves supplémentaires et fort révélatrices : l'une, c'est que personne ne comprend sa langue et qu'il ne peut parler à personne : "Je suis comme une statue au milieu des Japonais", écrit-il. L'autre, c'est qu’une fois que François Xavier s'est initié aux prémisses de la langue, il découvre soudain que ses interlocuteurs n'ont aucun terme pour traduire "Dieu" ou se figurer l'idée de Création. En un mot, il découvre l'altérité profonde du mode de pensée et de croyance des Japonais.
"J'ai demandé à Paul le Japonais pourquoi ils n'écrivent pas de notre façon. Il m'a répondu : pourquoi vous n'écrivez pas de notre façon ?"
Cette question paraît décisive : elle l'oblige à renverser son regard. Et l’un des éléments les plus touchants de cette rencontre entre Paul et Xavier, c’est que doucement Paul entraîne François Xavier à se comporter autrement, à se montrer plus « poli » et plus respectueux de l’univers raffiné au sein duquel il évolue. Plus généralement l'homme qui ne comprend pas l'autre, qui n'infuse pas le temps de l'autre, le contexte de l'autre, ne peut aider l'autre, ni aller à lui, ni lui dire le bonne nouvelle. Il est condamné à demeurer rigide, sourd et muet comme une statue, ce qui est bien la pire des choses pour un missionnaire. Mutatis mutandis, pourrait-on dire aujourd’hui, où souvent on parle la langue de l’autre et où la question se pose à l’inverse : comment utiliser ce don en l’utilisant là où c’est utile ? Comment servir ? Et où servir le mieux, en un temps où paradoxalement tout le monde enfourne en digest télévisé la culture des autres, mais, par saturation, s’enferme frileusement dans des frontières culturelles séculaires ou même illusoires ?
Après les Moluques, après le Japon, la troisième étape de la mission de François Xavier se veut la Chine. Le missionnaire est rentré entre-temps en Inde, dont il est devenu Provincial et il veut contribuer à la création d'une "chrétienté nouvelle", dont il jetterait les bases en Extrême-Orient. La Chine a toujours représenté une terre de mission spéciale. Les Chinois sont des lettrés, détenteurs de l'une des plus vieilles civilisations du monde longtemps fermée sur elle-même, l'Empire du Milieu. Par leur intermédiaire "le bien s'étendra à d'autres qui sont sous leur autorité ou qui se règlent sur eux."
De la mission à l'inculturation
François Xavier est le premier en date des missionnaires de la Compagnie de Jésus, c'est aussi l'un des fondateurs. Or les missions lointaines font partie des objectifs prioritaires de la Compagnie. Ils sont devenus depuis ceux de bien des missionnaires, des franciscains ou des oblats aux Pères blancs.
"Aventurier de haut vol" dont "l'Esprit de Dieu a saisi les puissances sans les anéantir", "à l'époque de la découverte des autres mondes" : chacune des expressions du Père Ravier est intéressante à retenir. En effet, le nouvel esprit dont est porteur la Compagnie de Jésus, dont quelques-uns des fondateurs ont eu maille à partir avec l'Inquisition (donc avec une certaine conception de l'Eglise), est un esprit militant, porteur de la parole évangélique à l'époque des grands navigateurs et de la définition d'une identité européenne dont les valeurs d'expansion, de conquête et d'utopie - valeurs proprement européennes - vont changer la carte du monde, mais aussi la manière de le penser. Il œuvre pour une plus grande gloire de Dieu, or à l'origine, le mot gloria signifie "considération" : Dieu a besoin qu'on le considère plus, qu'on le prenne en compte.
François Xavier, "apôtre des Indes", est un missionnaire des premiers temps, dont les méthodes se résument en général et de façon que nous pourrions considérer aujourd'hui comme naïve, à la conversion - celle des paravers, pêcheurs de perles, par exemple, qu'il baptise par villages entiers -, parce qu'il a la conviction profonde que ce qu'il apporte (l'Evangile) est un message infiniment précieux de salut individuel - message propre à l'Eglise chrétienne, qui est une révolution par rapport au judaïsme traditionnel ou à l'Islam où le salut est collectif. L'expérience des Pères Blancs à ce sujet et du cardinal Lavigerie, bien plus tard, en témoigne et révèle les problèmes rencontrés comme les solutions avancées. Et ce n'est pas un hasard si c'est un grand missionnaire et peintre jésuite, Castiglione, qui a introduit en Chine l'art du portrait, c'est-à-dire de l'expression individuelle. Mais aussi Castiglione ou les grands missionnaires en Chine ont été impressionnés photographiquement pourrait-on dire, par le monde qui les entouraient et qui a changé en partie, à la longue, la manière même dont l’Eglise, jusqu’à Vatican II, a pu considérer les missions.
Pendant les trois années de l'œuvre apostolique accomplie au Japon, François Xavier opère un changement d'approche et de comportement : il comprend que seul le respect des coutumes de ceux qui l'accueillent, de leur langage, des conventions traditionnelles peut sauvegarder tout apostolat à long terme. Il "accepte de jouer le jeu", comme nous dirions aujourd'hui, et troque ses haillons pour se présenter au daïmyo de Yamaguchi en somptueux appareil, dans un costume de prix, flanqué de marchands portugais portant des présents fastueux. La leçon porte, et ses successeurs tenteront d'assimiler les coutumes locales pour s'y glisser selon l'adage que l'habit estompe le moine, que l'apparence peut être garant de liberté quand elle s'accompagne de respect des coutumes de l'autre, de compréhension profonde de son mode de pensée.
Les successeurs de François Xavier - Alexandre Valignano au Japon, Robert de Nobili en Inde et surtout Matteo Ricci en Chine pousseront fort loin cet aspect du modo nostro qui aboutira à la querelle des Rites : certains leur reprocheront de jeter le bébé avec l'eau du bain, pourrait-on dire trivialement, et de s'immerger tant qu'ils se noient - reproche qui a couru jusqu'à nos jours, par exemple à propos de l'Amérique latine et du marxisme.
La difficulté réside en effet dans la ligne de démarcation ou ligne de crête fort délicate à établir entre la Parole de l'Evangile que l'on apporte, avec l'annonce du salut de chacun individuellement sauvé par le Christ, le rôle de la Vierge Marie et des saintes femmes, l'indulgence du Christ pour Marie-Madeleine ou pour la femme adultère, d'une part, et, d'autre part, la parole de l'autre, reflétant souvent, avec des modalités diverses, une destinée religieuse collective, un rapport aux femmes bien différent, une attitude faites de codes et de hiérarchies parfois rétifs au dialogue.
Surtout, ces "missionnaires de pointe" font accéder les gens du lieu à l'apostolat. Aujourd'hui, les missionnaires indiens, arabes, africains, chinois même portent la bonne parole chez eux, ne restent pas comme des statues au milieu de leurs frères d'autres religions et coutumes. Car le champ de la mission s'est insensiblement déplacé. Ce n'est plus nécessairement le missionnaire qui se déplace, mais ceux qu'il a mission d'évangéliser qui viennent à lui.
La mission selon François Xavier : "L'apôtre vit penché sur la face mobile du monde".
Le fidèle, c'est celui qui a la foi, l'infidèle, celui qui ne l'a pas et à qui le missionnaire est chargé de la transmettre ou de la raviver. Mais cette foi ne peut-elle s'exprimer selon des modalités différentes . Ne peut-elle poser, selon les civilisations où elle est née ou s'est développée, des questions différentes ? N'est-elle pas liée à un "esprit du lieu" auquel il convient de s'initier, en laissant tomber les barrières entre le missionnaire et l'autre ? La foi du désert s'exprime-t-elle comme la foi urbaine ?
Ce sont toutes ces questions que pose François Xavier et qui restent à l'ordre du jour. Ses réponses ou plutôt ses conseils et ses notes tournent toujours autour des mêmes mots : il faut se rendre disponible, c'est-à-dire se laisser poser ici ou là se laisser modeler par l'Esprit Saint, avec confiance et dans l'obéissance, c'est-à-dire la remise de notre liberté aux mains de Dieu : le mot "fidèle" est de même racine que "féal". Il faut se mettre en condition de discerner entre les intérêts de Dieu, ceux de César, ou les nôtres plus égoïstes. Il faut enfin se mettre au service des autres, ne plus s'appartenir, au risque de se trouver, et de trouver bien autre chose que ce qu'on trouvait au départ. Socrate avait coutume de dire que l'on naissait avec le visage dont les dieux vous avaient doté et que l'on mourrait avec celui qu'on s'était fait. Le missionnaire Xavier meurt aussi avec le visage qu'ont modelé l'épreuve des autres et le reflet qu'ils lui ont renvoyé. Eût-il été le missionnaire que l'on sait sans la patience et les conseils d'Anjirô, le Japonais, rebaptisé Paul ?
François Xavier tient compte de la nature humaine, ne s'illusionne guère, et connaît les ressorts de la fraternité qu'il a appris sur le terrain :
"Parfois dans de pareils cas, je le sais par expérience, les gens sont aidés lorsque vous leur parlez en termes généraux de votre propre lamentable passé."
Si le missionnaire ne se remet pas lui-même en question, il ne fera pas progresser les autres, il ne peut les "acheminer" vers la réflexion : "L'apôtre vit penché sur la face mobile du monde".
Ce fut aussi, à plusieurs reprises, le message du pape au Canada il y a quelques années, qui avait su utiliser le culte de l'image et la religion cathodique, en transmettant au monde entier, la réunion de tous les représentants religieux de la planète, en col clérical, kippa, costumes islamiques, robes safran ou coiffes à plumes … une image de la mission planétaire d'aujourd'hui, à la rencontre des hommes, dans un souci de paix et pour une plus grande "considération" de Dieu, qui aurait sans doute plu à St François Xavier :"Más", davantage ! était sa devise. Et dans une lettre de 1549, il disait que les hommes sont "les livres vivants que vous devez parcourir". On pourrait aussi dire que le missionnaire est le livre vivant qu'il est lui-même, avec les autres, en train d'écrire.
"François, capitaine de Dieu, a fini ses conversions ;
Il n'a plus de souliers à ses pieds et sa chair est plus usée que sa soutane.
[…] Et tranquille comme un soldat, les pieds joints et le corps droit,
Ferme austèrement les yeux et se couvre du signe de la croix." (Paul Claudel, à Francis Jammes)
Quelques citations
"Si vous rencontrez quelqu'un qui désire soulager en confession sa conscience chargée d'une longue accumulation de péchés, vous devez en premier lieu lui faire examiner soigneusement celle-ci pendant deux ou trois jours auparavant. Entendez sa confession et ensuite, en règle générale, différez l'absolution pour une période de temps égale. Pendant ces trois jours donnez-lui à méditer quelque point des premières semaines des Exercices spirituels, enseignez-lui la méthode de prière et exhortez-le à exciter une véritable et sincère détestation de ses péchés en entreprenant des pénitences volontaires telles que le jeûne ou l'administration de la discipline."
"Offert à tout péril de mort, je place mon espérance et ma confiance en Dieu notre Seigneur" (10 mai 1546)
"Se rendre et se garder par le recueillement, le désintéressement et l'amour, capables d'être inspirés par Dieu" Madeleine Daniélou.